Intermezzo – Sally Rooney, explorations psychique et sociétale, (encore) un sans-faute

Intermezzo, le quatrième roman de la romancière irlandaise Sally Rooney est paru aux éditions Gallimard le 24 septembre 2024. Fidèle à ses thèmes de prédilection, l’autrice nous livre un roman fin, sensible et profond, sur une génération (la sienne) foncièrement incapable de désespérer. Chronique d’un (quatrième) succès. 

Le deuil. C’est ainsi que commence l’histoire de Peter et Ivan Koubek, ou plus exactement : l’enterrement. Celui de leur père. Si vous avez lu les trois précédents romans de Sally Rooney, vous n’êtes pas sans savoir que le deuil est un thème que la romancière n’avait encore jamais abordé. C’est désormais chose faite. Et comme toujours avec Sally Rooney, il est question de cela, et de bien plus que cela aussi. 

Car le roman pose sans doute plus de questions qu’il n’apporte de réponses — n’est-ce pas l’intérêt même de la littérature ? Intermezzo fait tapis, un point d’honneur est mis, en effet, à mettre toutes les questions sur la table, puis tenter, après coup, de démêler les fils de toutes ses intrications. C’est par l’épreuve de la perte et du deuil d’abord que Peter et Ivan, deux frères que dix ans séparent (et tout un monde avec) sont amenés à se rapprocher, à défaire et refaire les liens distendus qui les avaient, au fond, toujours éloignés. Incommunicabilité et incompréhension sont à peu près les termes qui suffisent à définir leur relation. 

Intermezzo a le mérite de poser les questions qui dérangent, qui fâchent, qui grattent comme une aiguille sur une vieille plaie qui peine à cicatriser. Et celle-ci en premier lieu : qu’est-ce que l’amour filial ? Cet amour-là, celui que l’on porte à un frère, une mère, un père, est-il toujours nécessaire — mécanique, dirons-nous ? Doit-il seulement l’être ? Et avec cette question, une autre : comment accueillir la différence dans sa propre famille ? Parce que, oui, il faut l’admettre, Ivan est un peu particulier — d’aucuns diraient bizarroïde. Inadapté. 

Joueur d’échecs génial et obsessionnel, Ivan parvient (malgré tout, semble-t-il) à trouver une femme (nous soulignons) à sa hauteur, c’est-à-dire, selon lui, fidèle à sa bassesse. Boutonneux de 22 ans, à l’appareil dentaire proéminent, Ivan tombe amoureux d’une femme de 36 ans, déjà divorcée. Cet amour est une question, et sans doute même un problème. Et le problème, au fond, n’est rien d’autre que la société, les pia-pia et les qu’en-dira-t-on. Et définitivement, Sally Rooney excelle dans l’art de démonter les préjugés. 

Quant à son frère, Peter, avocat, en couple, du genre bien sous tous rapports, voit son petit quotidien bouleversé par les sentiments qu’il porte simultanément à deux femmes, dont l’une d’entre elles, d’ailleurs, est aussi jeune que son frère. 

Bref, comme toujours avec Sally Rooney, Intermezzo est un roman à la plume épurée, débarrassée de tout effet de style (c’est précisément ça, son style), d’une extrême contemporanéité, et dans lequel la psychologie des êtres humains est étudiée avec une finesse et une acuité inouïes. 

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A propos de l'auteur ...

Adèle Deuez
Passionnée de littérature et de philosophie, j’ai signé de nombreuses chroniques pour L’Explorateur Littéraire, avec une attention particulière au style, à la pensée et aux voix singulières.
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