Avec L’Impossible Retour, Amélie Nothomb explore la mélancolie du souvenir

Qui dit rentrée littéraire dit retrouvailles annuelles avec Amélie Nothomb, que l’on ne présente plus.  En août 2024, l’écrivaine belge publie L’Impossible Retour aux éditions Albin Michel, qui s’inscrit dans la continuité d’un cycle débuté en 1999 avec Stupeur et Tremblements, où elle relatait son expérience infernale au sein d’une puissante entreprise nippone. Nothomb ne s’en cache pas : elle affirme depuis son plus jeune âge se sentir Japonaise, tout en étant lucide sur l’impossibilité de vivre désormais au pays du Soleil-Levant. Les écarts culturels sont la cause de cet échec. L’écriture devient alors un moyen de maintenir cette connexion avec une culture qui lui est si chère. Cela dit, les autres romans de ce cycle autobiographique (Ni d’Eve ni d’Adam ; La Nostalgie heureuse) se veulent plus tendres alors qu’ils se déroulent parallèlement aux événements de Stupeur et Tremblements

La nostalgie est justement au cœur de LImpossible Retour, « un sentiment crépusculaire [qui] grandit » chez Nothomb tout au long de ces 162 pages. L’écrivaine retrouve le Japon en acceptant d’accompagner son amie Pep en tant que « guide ». Cependant, dès le début du récit, elle exprime ses doutes et ses peurs face aux effets douloureux de cette nostalgie ; elle se reconnecte littéralement au sens véritable du mot « nostalgie » (« le mal du retour »). Nothomb ressent profondément cette douleur, qu’elle analyse et décortique sans cesse tout le long de son voyage. Elle écrit : « Le verbe « habiter » a pour étymologie le fréquentatif du verbe « avoir » en latin : avoir longtemps, c’est habiter. J’ai eu longtemps Tokyo, et cette possession a disparu. Je suis dépossédée de cette mégalopole et je commence à peine à mesurer les effets de cette amputation ». 

Comment reprendre ses repères (et même, allons plus loin : peut-on vraiment les retrouver ?) ? Est-il possible de revivre les sensations qui nous ont fait vibrer par le passé ? Amélie pourra-t-elle alors retrouver facilement la langue « fantôme » qu’elle parlait couramment lorsqu’elle était enfant ? Comme toujours chez Nothomb, certaines aventures vécues sont particulièrement savoureuses à suivre et suscitent de nombreux rires (ou du moins des sourires), ce qui donne à ce récit un air léger bienvenu. Pourtant, la gravité n’est jamais bien loin dans ce roman aux accents de carnet de voyage ; la mélancolie finit par tout emporter sur son passage. Dans une ultime prise de conscience sur les effets de l’éloignement malgré un attachement intense, Nothomb conclut avec ferveur : « Quarante années se sont écoulées et je comprends pourquoi c’est si ardu. A l’échelle de ma vie, l’éternel retour de l’identique consiste à aller au Japon pour m’apercevoir que ce retour est impossible, que l’amour le plus absolu n’en donne pas la clef ».

Dans ce 33e roman, Amélie Nothomb poursuit avec simplicité et fluidité son travail d’introspection amorcé dans ses précédents textes. Au fil des pérégrinations, la confrontation avec ses souvenirs fait surgir des émotions à la fois tristes et intimes, notamment lorsqu’elle évoque son père décédé, à qui elle avait consacré Premier Sang (prix Renaudot 2021). Les touches d’humour caractéristiques de son univers permettent évidemment à L‘Impossible Retour d’éviter de sombrer dans une atmosphère lourde et plombante. Mais ce sont surtout les moments d’émerveillement qui créent un équilibre dans le traitement des émotions. Car au fond, la nostalgie ne se résume pas simplement à ressentir le mal du retour. Ce malaise naît plutôt de la confrontation avec la beauté et les sensations agréables. 

Qu’il s’agisse d’un texte mineur ou non dans la carrière de son autrice (une question inévitablement posée à chaque nouvelle parution de Nothomb, même pour sa toute dernière, Tant mieux), peu importe : L’Impossible Retour est une œuvre réussie, marquée par sa profondeur et son honnêteté.

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A propos de l'auteur ...

Christine Breton
J’ai deux amours dans la vie : la littérature et le cinéma (mon esprit de comparatiste n’est jamais bien loin). A part ça, je suis prof de français et j’adore me prendre pour une petite détective en écoutant ou en lisant des true crimes. Et parfois, j’écris.
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